vendredi 5 août 2016

Beat Generation




A travers une exposition fidèle à la vie décousue des “beatniks”, le Centre Pompidou met en évidence la mouvance géographique de ces drôles de garçons.


La « Beat Generation », c'est avant tout un groupe d'amis en perpétuelle quête d’expériences. Le terme « beat » est défini par Jack Kerouac, leader naturel depuis son oeuvre Sur la route, comme signifiant : « dans la dèche, mais remplis d’une intense conviction. »

Ce mouvement contestataire est rapidement qualifié de « contre-culture » : les jeunes étudiants se dressent contre le conservatisme social des Etats-Unis en affirmant leur liberté d'expression à travers les arts. Si les prémices de la Beat Generation s'ancrent à New-York dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les membres du groupe partent ensuite sillonner les routes du monde entier. De la côte californienne, en passant par le Mexique et le Maroc, ils dérivent jusqu'à Paris à la fin des années cinquante.
La bohème parisienne

C'est par rejet de son pays natal que le trio fondateur (Allen Ginsberg, William Burroughs, Jack Kerouac), accompagné de leurs acolytes (Brion Gysin, Gregory Corso, Peter Orlovsky et Ian Somerville), débarquent successivement à Paris. Ceux qui se plaisent à se qualifier de « cercle des libertins », notamment pour leur grande liberté sexuelle, fantasment le Paris bohème des années vingt, cher à Man Ray, Dali, Hemingway ou Buñuel.




“Paris semble avoir perdu son âme” Cependant, ils sont rapidement déçus. « A l'époque, la France était un peu morte. Les grandes figures étaient les anciens et, à ma connaissance, il n'y avait aucun jeune poète inspiré », écrit Ginsberg dans son journal. Engluée dans la guerre d'Algérie, la France n'a pas le coeur à la fête et selon le jeune Américain, « Paris semble avoir perdu son âme. »



Pour ne rien arranger, leurs textes n'étant pas traduits en français, ils peinent à intégrer la scène artistique parisienne. Pourtant, les rencontres s'improvisent. Lors d’un dîner resté mythique, le poète et éditeur français Jean-Jacques Lebel présenta Ginsberg, Burroughs et Corso à Marcel Duchamp et Man Ray. Les Américains sont subjugués par leurs héros dadaïstes. La soirée vire au surréalisme lorsque Ginsberg embrasse la jambe de Duchamp tandis que Corso, en pleine performance dada, lui découpe sa cravate.


C'est également à Paris, au café Le Sélect (toujours debout sur le boulevard de Montparnasse), antre d'artiste tels que Soutine, Chagall, Picasso ou Hemingway, que Ginsberg écrit l'une de ses œuvres les plus émouvantes : Kaddish. Très marqué par la maladie mentale de sa mère, il y relate la folie de celle-ci dans ce célèbre poème.





Lorsqu'en 1956, Allen Ginsberg publie Howl, œuvre poétique controversée, il est accusé d’obscénité par la justice américaine. Malgré la bonne publicité que lui vaut son procès, l'auteur ne s'identifie plus à la mentalité qui gouverne son pays et préfère s'éloigner, accompagné de son amant Peter Orlovsky. En octobre 1957, Ginsberg arrive dans la capitale française empli d'espoir et connaissant sur le bout de la langue la poésie de Baudelaire, Apollinaire et Rimbaud.

Sur les conseils de Gregory Corso, autre chef de file de la Beat Generation, les jeunes hommes débarquent au 9 rue Gît-le-coeur, un hôtel au coeur du quartier latin. Ils sont reçus par la veuve Madame Rachou, propriétaire de ce petit immeuble insalubre et sans nom. Pour un dollar la nuit, difficile de se plaindre des toilettes sur le palier et de l'équipement spartiate des quarante-deux chambres disponibles. Madame Rachou, amoureuse des arts, accepte avec plaisir une œuvre en guise de paiement du loyer. Elle sait fermer les yeux sur les drôles de mœurs de ces hommes partageant jusqu'à leurs lits, et sur l'odeur de marijuana qui embaume son hôtel.

C'est là que Corso rédige en quatre jours seulement son poème Bomb. « Je vais juste laisser les vers couler et pas m'occuper du gras » dit-il en résumant ainsi la technique d'écriture spontanée caractéristique des beatniks.



C'est également dans l'hôtel que naît la Dreamachine. Invention conçue par le poète Brion Gysin et le scientifique Ian Somerville (à l'époque amant de Burroughs), ce cylindre rotatif équipé d’une ampoule et fendu de part en part, imite l’effet du kaléidoscope. « Le premier objet d’art au monde à regarder les yeux fermés » décrit Gysin, est censé apaiser le cerveau par les clignotements psychédéliques du à son mouvement.


Parmi les beatniks, Burroughs est une figure à part. Après avoir accidentellement tué sa femme Joan Vollmer d'une balle dans la tête en se prenant pour Guillaume Tell, il erre en quête d'expériences extrêmes. Il traverse une période d'introspection difficile au Maroc. En janvier 1958, il débarque à son tour à Paris, encore sous l'effet de l'héroïne de Tanger. Lorsqu'il rejoint les autres au Beat Hotel, ces derniers l'accueillent et l'encouragent.

Burroughs amasse les pages sans relâche et sans plan. Ses amis se mettent en quête de classer ses notes pour présenter un recueil à des éditeurs. Dans la chambre 23, que l'auteur occupe par superstition, il boucle enfin son livre. C'est Jack Kerouac qui trouve le titre : Le Festin Nu. Résolument pauvres, nombre de résidents du Beat Hotel, dont Burroughs, jouissent des joies de la capitale grâce à des publications de romans érotiques pour la maison d’édition Olympia Press. C'est d'ailleurs son directeur, Maurice Girodias, qui publie Le Festin Nu en 1959.




“Les jeunes voyous du rock'n'roll chambardent les rues du monde entier. Ils envahissent le Louvre et vitriolent la Joconde, ils ouvrent les grilles des zoos, des prisons et des asiles d'aliénés, ils crèvent les conduites d'eau au marteau pneumatique, défoncent à la hache le plancher des toilettes dans les avions de ligne (…)” Extrait de Festin Nu, par William Burroughs, première publication à Paris en 1959. Ginsberg souffre du mal du pays et quitte bientôt la France. Burroughs, lui, décide de rester à Paris. Suivant l’initiative de Brion Gysin, il se consacre à expérimenter la technique du cut-up, juxtaposition de divers mots ou lettres découpés, largement inspirée du mouvement Dada. Gysin complète cette découverte par celle du cut-in, l'équivalent avec la matière sonore, et initie une révolution au sein de la pratique beatnik. Pendant plus d’une décennie, durant laquelle il continue à voyager, Burroughs s’exaltera à tester cette analogie du montage avec le cinéma, la photographie et le son.


Le départ de Burroughs du Beat Hotel marquera la fin de l'époque beatnik à Paris. En 1963, Madame Rachou vendra l'hôtel après trente-deux ans d'activité. Aujourd'hui quatre étoiles nommé Relais Hôtel du Vieux Paris, l'hôtel préserve une plaque sur sa façade, rappelant les grands noms qui hantent ses chambres. Malgré leur absence, le Paris des 60's continuera de se nourrir des valeurs libertaires défendues par les beatniks, reprises par exemple dans les revendications de Mai 68.

La Beat Generation au Centre Pompidou : 22 juin 2016 - 3 octobre 2016
Les Inrocks hors série n°79 : La Beat Generation
 
Barry Milles Beat Hôtel, ed Les mots et le reste.

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