vendredi 9 mai 2014

Servian hors saison (2)





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Les yeux clos je fais ce que je sais faire le mieux, le voyageur immobile qui fouille du souvenir la moindre pierre à la recherche de je ne sais quoi. Enfant il courrait partout sans rien voir. Pourtant sa mémoire se souvient et cherche les traces du passé. Du moins elle croit se souvenir. A moins qu’elle n’invente des choses. Qu’elle embellisse le passé. Je me sens bien de rester un moment avec elle en compagnie de mes souvenirs. En compagnie des ombres. Il est vrai qu’il ne reste plus personne pour humaniser mes souvenirs. Plus personne de vivant. Ils restent les ombres. Elles sont présentent partout. Elles me hantent depuis l’enfance.

J’ai laissé tomber le coup de chaud. Il fait encore vingt-quatre degrés. De la place des Aires Je dirige mes pas vers la route d’Abeilhan. Je passe près du cimetière vieux et me prend à sourire.



Lors des fêtes du quinze août il y avait bal sur les Aires. Les mioches se lassaient vite des lumières et des flonflons. Nous nous retrouvions à l’entrée du cimetière vieux, loin du bruit et de la foule. Je crois me souvenir de grands cyprès. Les petits vacanciers lorgnaient avec frayeur cette allée centrale pleine d’esprits malins. Les gamins du village nous narraient d’effroyables anecdotes à faire frémir. Les plus courageux d’entre eux traversaient un à un cette allée et disparaissaient dans le noir sous les yeux ébahis des non-initiés. Ils sortaient dans l’avenue d’Alignan et couraient nous rejoindre tout en fanfaronnant. Alors ! Qui aurait le courage d’affronter « l’allée des spectres » ? Appartenir à la bande relevait de cette initiation. Je m’y suis plié comme les autres. Interdiction de courir ou de revenir sur ses pas. Une fois sorti du halo de lumière je me suis senti bien seul, cerné dans le noir par l’effrayant relief des tombes. Je ne pouvais empêcher le crissement des cailloux sous les semelles de mes sandales. Un coup à se faire repérer par les fantômes aux aguets dans l’obscurité. Je stoppais mes pas. Me retournais. A l’entrée du cimetière dix têtes m’observaient en silence tandis que quelques bras m’invitaient à progresser plus avant. L’esprit de moins en moins téméraire, je me pliais toutefois à leur volonté. Je me mis à m’encourager tout en accélérant le pas. Encore une dizaine de mètres et je n’aurais plus qu’à virer à gauche dans l’allée et courir comme un dératé jusqu’à la sortie dans l’avenue d’Alignan. Une affaire de quelques secondes en somme. Je sentis alors une présence. Etais-ce le fruit de mon imagination ? Je voyais pourtant des ombres s’agiter tout autour de moi. Quelque chose ou quelqu’un me frôla. Pétrifié j’étouffais un cri. Un étau se mit à enserrer ma cheville. Le fin duvet de mes jambes se dressa. Je me débattis en tous sens, tirais sur ma jambe mais rien n’y fit. J’étais pris au piège, livré aux démons. Les ombres enfiévrées parcouraient maintenant mon corps. Avant de me laisser entrainer dans le néant de « l’allée des spectres » j’usais des ultimes forces susceptibles de me libérer. Je balançais gnons et coups de savate. Griffais, mordais tout ce que je pouvais. Il me sembla même entendre un cri. Mes coups avaient porté. L’étreinte d’ailleurs se relâcha. Je m’enfuis jusqu’à l’avenue d’Alignan. Le cœur battant la chamade et les larmes aux yeux, je courais en gémissant jusqu’à l’angle du cimetière. Là, adossé au mur, je séchais mes larmes et me mouchais. Je ne pouvais décemment apparaitre en pleine lumière aux yeux des autres dans cet état-là. Je fus félicité pour mon courage et admis dans la bande dont deux des membres portaient quelques traces d’horions. Mais dans l’affaire j’y avais laissé une sandale. Une sandale à récupérer dans « l’allée des spectres ». 




J’ai abandonné ma savate au cimetière vieux pour la route d’Abeilhan. C’est la route du Pioch’. Depuis la rue Molière, le Papé, le père de ma tante Marcelle empruntait cette route deux fois par jour jusqu’au jardin. Je ne sais plus au juste où se trouvait ce jardin. Je ne me reconnais pas dans ce nouveau panorama. 

Le Papé, je ne l’ai pas connu bien longtemps. Juste quelques étés à aller au potager, donner à boire aux plantes et ramasser l'herbe pour ses lapins avec ma cousine Annie. Comme je l’ai déjà écrit : « Le Papé, on aurait dit qu'il avait plus de moelle. Un vieux racorni, coiffé d'un béret sale, tout recroquevillé sur lui-même, en équilibre instable sur sa courte canne. Pour nous, Le Papé c'était un arbre. Un arbre où couraient mille sillons ocre. Un arbre avec des mains d'arbre, rugueuses et blessées, pour coiffer nos têtes d'enfants, ou couper le pain en tranches généreuses. C'est tout. Chaque fois que je vois un arbre centenaire, je pense à lui. » 



Je quitte la route d’Abeilhan pour celle du Mas de Bouran en direction du château de l’Hermitage de Combas. Mon regard porte loin dans les campagnes. Au plus fort de l’été, avec la fraicheur du soir, je faisais le même trajet à bicyclette, trajet quotidien de ma grand tante Elvire jusqu’à l’Hermitage où elle travaillait au service du duc Levis de Mirepois. 



Je m’autorise une courte pause sur les bords de la Thongue où je puise un peu de fraicheur avant de reprendre ma route. Je ne retrouverai un havre de paix et de fraicheur que dans la somptueuse allée des oliviers bordant le château de l’Hermitage désespérément vide ou coassent de façon assourdissantes les grenouilles dans les bassins.





Le soleil décline doucement. La lumière se veut plus douce, plus tendre. Je quitte l’Hermitage par la route du Coussat, ces châteaux de la vigne construits au XIXème au plus fort de l’industrialisation viticole. Mon père fut ouvrier agricole dans les années trente à St Macaire, La Grassette et au domaine d’Amilhac. 



Je rejoins le village, le silence des rues vides. Quelques chiens assoupis sur la route encore tiède, témoignent d’une vie au ralenti. Un enfant pleure, rapidement apaisé. Un vélomoteur pétarade au loin. L’église se vide de ses choristes, un concert organisé par La Musica avec la chorale San Jordi de St Georges de Luzançon. Je n’en étais pas informé. Une belle occasion ratée.

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