jeudi 5 janvier 2012

Alfred Doblin : Berlin Alexanderplatz



 "Ce roman, que la rumeur a rendu mythique depuis sa parution en 1929 à Berlin, est devenu l'archétype du classique moderne ; il a acquis ce statut pour la langue allemande parallèlement au Ulysse de James Joyce pour la langue anglaise sensiblement au même moment, et l'analogie n'est pas gratuite tant ils ont formellement partie liée."

"A première vue, il s'agit de l'histoire de Franz Biberkopf, comme indiqué en sous-titre ; et afin que nul n'en ignore, sa biographie est résumée en liminaire par l'auteur-même : un ancien débardeur et cimentier qui retourne à Berlin sur les lieux de ses ennuis d'autrefois aussitôt libéré de prison ; il veut devenir honnête mais replonge au contact de Reinhold, un souteneur ; son parcours est une suite d'aventures dans la cruauté de la vie, à l'issue duquel il affronte ses démons intérieurs ; en mettant de l'ordre dans son chaos, il prend encore des coups mais en sort debout, résigné."

 

"Voilà Berlin Alexanderplatz, livre dont l'onde de choc fut si durable qu'elle éclipsa injustement le reste de l'oeuvre de son auteur. On pourrait le dire et le poursuivre ainsi et on n'aurait rien dit de ce roman picaresque, épique, baroque, romantique, fruit de toute ces traditions littéraires mêlées, dont la ville est le personnage principal tant et si bien qu'on a pu dire de son auteur qu'il avait fait entrer la rue et son ambiance dans le roman moderne. Il est vrai qu'on ne voit et qu'on n'entend qu'elle, grouillante, vociférante, effrayante, bruyante. Une cacophonie admirablement maîtrisée par la syntaxe. La ville en sa misérable majesté, la rumeur des quartiers Est et ses petites gens qui ne sont pas sans rappeler ceux du Seul dans Berlin de Hans Fallada."

 

"On sent l'âme d'Alfred Döblin à toutes ces pages, son énergie créatrice bien sûr, mais surtout sa détresse, sa tristesse, son chagrin, sa souffrance, son désespoir ; car on a rarement vu un écrivain aussi isolé, par sa conversion au catholicisme que Brecht assimila à une trahison, par sa dénonciation du rôle des intellectuels dans la prise du pouvoir par Hitler qu'ils ne lui pardonnèrent pas, par son retour en Allemagne en 1945 sous l'uniforme français que les Allemands n'acceptèrent pas, par son internement dans un hôpital psychiatrique près de Fribourg où l'ancien psychiatre s'éteignit dans des conditions atroces (son fils cadet Stephan Döblin raconte cette constante mise à l'écart dans l'entretien qu'il a accordé à Eryck de Rubercy pour la dernier numéro de La Revue des deux mondes). L'hallucinant chapitre sur les abattoirs de Berlin, d'autres morceaux d'anthologie encore, empoignent le lecteur et le bousculent jusqu'à le frapper parfois. Mais qu'il se rassure : Berlin Alexanderplatz est l'un des rares romans qu'on peut ouvrir à n'importe quel page, lire pendant une heure ou deux, abandonner et reprendre ailleurs sans en gâter le plaisir."
Source La République des livres.



Aucun commentaire: