mercredi 13 janvier 2016

La machine à laver



L’annonce fut quelque peu brutale : « La machine à laver ne marche plus ! » J’ai hésité à enfiler un slip propre. « Et hier ? – Ben, elle marchait » Comme tout le monde je suis descendu voir le lave linge. Nous fûmes quatre à constater que le voyant lumineux vert était allumé mais que rien d’autre ne se passait. « Tu as ouvert l’eau ? - Tu me mets le doute » fit l’une en activant en tout sens le robinet d’arrivée d’eau. « Dans quel sens c’est ouvert ? – En tournant par-là. – Par où ? – Par-là. – Comment ? – Allez, donne-moi ça ! s’énerva l’autre sur le robinet. Par-là, c’est ouvert ! Par-là, c’est fermé. Là c’est ouvert. » Evident. Donc c’est ouvert, le voyant vert était au vert et rien ne fonctionnait. « Et tu me dis, qu’hier, elle marchait ? – Ben oui puisque j’ai fait une lessive de couleur. Même que j’ai lavé ton petit haut rose. – Oui, c’est vrai. Et tu n’as rien entendu de suspect ? – Que veux-tu que j’entende ? – Je sais pas, des bruits suspects, des trucs bizarres, des machins pas clair. - Comme si j’avais que ça à faire d’écouter les trucs et les machins pas clair de la machine à laver ! » Alors on a vidé le linge. Débranché la machine. Coupé l’eau. Rebranché la machine. Rouvert l’eau. Remis le linge. Et toujours le même résultat navrant : rien. « Elle a quel âge ? – Sept ans. – Ah ! »Une interjection lâchée avec lassitude, non sans une certaine sollicitude et beaucoup de regret. Instinctivement j’ai tiré les mains de mes poches et les ai jointes devant moi, tête basse, comme je me recueillerai devant un cadavre. Sept ans, un bel âge tout de même pour une machine à laver le linge. L’équivalent de 21 ans pour un cheval, 45 ans pour un chat, 48 pour un chien et 84 ans pour un lapin. Une machine à laver les lapins de 84 ans selon le même principe que la machine à laver le linge avec tambour inventé par l'américain James King en 1851. Ce n'est qu'au XXè siècle que sortirent les premiers modèles pratiques pour une utilisation domestique comme la Speed de 1925. 84 ans : c’était donc elle. Pourtant, je dois bien reconnaître qu’elle ne faisait pas son âge l’antique. Respect donc. J’ai écrasé une larme d’un pouce tremblant. Pupuce, bien plus prompte à réagir face à l’adversité que je ne pourrais le faire, à décrocher derechef le combine téléphonique. Mais question Contrat de Confiance, rien avant Limoges. Et Limoges c’est loin. 92 kilomètres. Au tarif du déplacement, autant en commander une flambant neuve. Alors, nous nous sommes retranché sur un marchand d’électroménagers plus proche. On ne peut pas dire qu’il nous a ménagé, le Al Capone de la réparation avec son tarif daté comme la machine à laver de l’ère de la Prohibition. Et tout ça pour s’entendre dire qu’elle était morte. Cte blague……
Rosiane a décroché le téléphone en disant « J’appelle Pascal ! » en me regardant tel un incapable. Faut dire que Pascal c’est un peu notre Mick Giver à nous, un Mick Giver croisé avec John Rambo. Un homme qui vous débite un stère de bois plus vite que son ombre avant le petit déjeuner et vous répare une machine à laver dans la foulée. Et avec Pascal, vous vous retrouvez soit propriétaire d’une laverie automatique flambant neuve, soit vous êtes condamnés au lavoir avec votre baquet de slips sales une planche à laver, une brosse en chiendent et un savon de Marseille à se les décrasser à l’eau froide en chantant « les lavandières du Portugal ». Pascal lit dans les cartes. Il va peut-être nous faire les tarots. En attendant il a sortit un joker de sa manche : la carte de commande du lave linge qu’il fallait peut-être juste changer. «Ah bon ! et où est-ce qu’elle se tient la carte de commande ? – En bas, caché avec une notice que même les réparateurs ils le savent mais te le disent pas. Les salauds. La carte de commande du lave linge, pour ceux à qui cela ne dit rien ou qui sont comme moi restés éternellement jeunes, ça ressemble à une base ennemi vue du ciel prête à être bombardée par des B17 américains. « Objectif atteint. Le lave linge est hors d’usage ! Je répète, le lave linge est hors d’usage. Nous rentrons à la base." La carte a été trouvée, retirée, commandée, livrée. Quatre verbes : trois semaines de délais. But et la conjugaison ça fait deux. Et pendant ce temps là je vous laisse imaginer la pile de linge. Et qu’est-ce qu’ils font du linge sale ? vous vous dites horrifiés. Ben on le porte. On le porte sur soi ou chez la voisine pour faire des lessives. Alors imaginez notre joie lorsque la carte de commande du lave linge a été déballée comme un cadeau de Noël. On a coupé le courant. On a coupé l’eau. Basculé le lave linge. Attention à mon dos, attention à vos pieds. Le bleu, avec le bleu. Le vert avec le vert. Le jaune avec le jaune. Le blanc avec le blanc. On a redressé le lave linge. Attention à mon dos, attention à vos pieds. On a remis l’eau et le courant. Et rien. L’annonce fut quelque peu brutale : « La machine à laver ne marche pas ! On était blêmes. Le voyant lumineux vert était allumé mais rien d’autre ne se passait. « Tu as ouvert l’eau ? - Tu me mets le doute » fit l’une en activant en tout sens le robinet d’arrivée d’eau. « Dans quel sens c’est ouvert ? – En tournant par-là. – Par ou ? – Par-là. – Comment ? – Allez, donne-moi ça ! s’énerva l’autre sur le robinet. Par-là, c’est ouvert ! Par-là, c’est fermé. Là c’est ouvert. » Evident. Donc c’est ouvert, le voyant vert était au vert et rien ne fonctionnait. Le même schéma, donc, que trois semaines auparavant avec la vieille carte mais cette fois-ci avec une carte neuve. « Et que dis la notice ? – Si le moteur ne tourne toujours pas, changer le moteur. » Les mecs qui écrivent ce genre de conneries se montrent plutôt méfiants. Ils ne signent jamais leurs méfaits sous peine de remplir les cimetières. Entre le déplacement et la carte de commande : 120 euros. On a coupé le courant. On a coupé l’eau. Basculé le lave linge. Attention à mon dos, attention à vos pieds. Débrancher la carte de commande. Rebrancher la carte de commande. Le bleu, avec le bleu. Le vert avec le vert. Le jaune avec le jaune. Le blanc avec le blanc. On a redressé le lave linge. Attention à mon dos, attention à vos pieds. On a remis l’eau et le courant. Et rien.: « La machine à laver ne marche toujours pas ! « Tu es sûr qu’il y a du courant ? – Et le voyant vert, c’est du chocolat mousse ? ». Alors, juste pour voir, j’ai basculé la machine attention à vos pied, je me nique le dos, sans couper l’eau et le courant électrique. Et là, mon corps fut parcouru de spasmes épileptiques suite à la châtaigne que je venais de me prendre. (A suivre…)



Avec le temps, nous avons fini par nous habituer au silence du lave linge. Parfois Rosiane passait près de lui et appuyait sur la mise en marche question de voir s’il ne sortirait pas enfin d’une profonde léthargie. Seul le voyant vert répondait à l’appel. Pour le reste autant shooter dans un cercueil. Nous ne pouvions rester indéfiniment ainsi. Le lave linge de la voisine pouvait lui aussi lâcher d’un coup. A notre époque, tout était possible, même une pandémie de grippe du lave linge. Il nous fallait prendre une décision.
Rosiane a demandé à JP d'intervenir. « Qu’est-ce que tu veux que JP fasse de mieux ? – Il a travaillé dans l’informatique. – Chez Darty ? – Pauv’ type ! »
JP est un voisin retraité. Il avait dans son parcours professionnel effectivement travaillé un peu dans l’informatique au cours des années 70. Pour Rosiane c’est une référence, alors allons-y donc pour JP. Et JP est arrivé. C’était joué d’avance qu’il ne pourrait rien pour ce foutu lave-linge. Pour la peine j’ai été obligé de laisser tomber mon bouquin. C’est pas poli. Il vaut mieux être à deux à ne rien pouvoir faire que de le laisser seul se dépatouiller dans l’inconnu. Il a regardé le lave-linge tandis que nous lui expliquions pour la carte de commande d’où sa visite puisqu’il avait travaillé dans l’informatique. J’ai basculé le lave-linge. Attention vos pieds, je me nique le dos. Et qu’est ce que ça fait deux lascars, respectivement âgé de 70 et 57 ans, à quatre pattes au chevet d’un lave-linge sur le flanc ? Rien de plus que debout mais ça donne l’illusion. C’est ça qui est important dans la vie, c’est de donner l’illusion de faire quelque chose alors que nous ne savons parfaitement que c’est illusoire. Surtout pour moi. Alors nous à quatre pattes, les filles derrière, entourées des deux chiennes et des deux chattes qui se demandent « mais keskispass ?». JP a regardé la carte de commande du lave linge. « A priori rien d’anormal » qu’il a fait. Puis il débranché la carte de commande. Remonté la carte de commande. J’ai redressé le lave-linge, attention vos pieds, j’ai le dos niqué. Résultat : néant. « Je crois que le lave-linge est mort ». Merde, on le savait pas. Enfin, il y était pour rien le JP. Il était venu, il avait vu, il avait fait ce qu’il a pu, il avait pas vaincu. Et nous étions quatre pour constater officiellement le décès. Il était bon pour la déchèterie. En acheter un neuf nous faisait carrément braire. Rosiane quittait définitivement Paris pour la Creuse fin Octobre et à Paris, eh bien un lave-linge elle en avait un. Mais d’août à Octobre sans lave-linge c’est une situation inextricable même avec une voisine bien disposée. Restait à déménager le lave-linge. Heureusement pour nous, JP se rendait en banlieue parisienne début septembre et à donc fait un détour par le Xème arrondissement. Il a fallu juste le descendre et le mettre dans le coffre. On a ouvert le coffre, nous nous sommes placés de chaque coté du lave-linge. Nous l’avons soulevé, descendu et glissé en douceur dans le coffre. Rien de bien compliqué. Un truc tranquille, peinard en moins de dix minutes. Si on avait su on aurait fait ça avant au lieu de se faire chier avec la carte de commande et tout le toutim. Fallait juste faire sept cent kilomètres. Mais qu’importe, l’affaire était réglée. 

Aucun commentaire: