mardi 29 septembre 2009

Ce jour là : Chez Maxe, Joinville, 1947

Une sympathique édition en livre de poche d’un recueil de Willy Ronis : "Ce jour-là", où il nous raconte comment il a photographié sur le vif, au hasard de ses rencontres, certaines de ses images emblématiques. Il se souvient avec une incroyable précision des circonstances, des lumières, de l’émotion qui à chaque fois l’ont poussé à appuyer sur son déclencheur. Dès ses premiers clichés dans les années 1920, il s’intéresse à la personne humaine dans ses comportements les plus communs. Ses sujets ? Sa femme et son fils en vacances dans le Midi de la France, les bals populaires en bord de Marne, la vie en usine, les scènes banales des rues de Paris, sa ville natale, qu’il a arpentée appareil en bandoulière pendant plus de soixante-dix ans.

Chez Maxe, Joinville, 1947

Ce jour-là, j’étais debout sur une chaise. J’étais allé à Joinville pour un reportage sur les guinguettes que m’avait demandé Le Figaro qui éditait alors tous les trimestres un bel album sur papier couché, avec des textes d’artistes, d’écrivains, de poètes.C’était en 1947, un dimanche après-midi. J’aimais en particulier l’ambiance de ces guinguettes, j’y venais régulièrement. Chez Maxe, c’était le nom de celle-ci, curieusement écrit avec un « e », et dès que je suis entré j’ai vu un groupe de danseurs vers le fond, que j’ai eu envie de photographier. Tout de suite. Mais il me fallait chercher un point de vue, je ne pouvais pas aller directement sur la piste car la photo aurait été prise de trop près, il me fallait trouver un endroit qui me ferait dominer l’ensemble de la danse. C’est ce mouvement général de la salle et de la danse qui m’attirait. Et que je voulais saisir. Alors, j’ai grimpé sur une chaise, juste derrière ce couple qui est là, devant, de dos. Ce sera mon premier plan, j’ai pensé. Mais une fois sur la chaise, mon attention a été attirée vers un garçon qui faisait danser deux filles, très librement, très élégamment, sur la droite. C’est mon sujet, je me suis dit. Je le sens tout de suite quand je trouve mon sujet. Alors, j’ai fait signe au danseur pour qu’il se rapproche. Lui aussi m’avait remarqué, il m’a compris aussitôt et, tout en dansant avec les deux filles, il s’est avancé vers moi?: c’est alors que j’ai fait ma photo. Il dansait comme un dieu. Et d’ailleurs, pour faire danser deux filles comme ça, il fallait qu’il ait vraiment du talent. Mais quand la musique s’est arrêtée et qu’il a repris sa place, je me suis aperçu qu’il avait un pied bot. J’étais stupéfait. C’était tout à fait invisible quand il dansait.Le moment où je choisis de prendre une photo est très difficile à définir. C’est très complexe. Parfois, les choses me sont offertes, avec grâce. C’est ce que j’appelle le moment juste. Je sais bien que si j’attends, ce sera perdu, enfui. J’aime cette précision de l’instant. D’autres fois, j’aide le destin. Par exemple, ici, je sais que le premier couple ne s’est rendu compte de rien, mais pour avoir cette photo précise, je les ai vraiment appelés, mes danseurs.L’histoire ne s’arrête pas là. Il y a trois ans, j’ai reçu une lettre de la danseuse qui est sur la droite. Elle me disait qu’elle voyait cette photo de temps en temps dans la presse et qu’elle tenait à me dire combien elle était touchée par tout ce qu’elle représentait. Sa jeunesse, l’ambiance de ces guinguettes, et bien sûr la jeune fille qui dansait sur la gauche qui était une copine d’enfance?: depuis la maternelle, précisait-elle. Mais le garçon, non, elles ne l’avaient plus jamais revu. Elles n’avaient dansé que cette fois-là avec lui.

1 commentaire:

sophie a dit…

quel superbe extrait .....
totale émotion en le lisant...
je vais acheter ce livre pour mon apolline
sophie (des grigris)