vendredi 17 juillet 2009

Le pays des enfants perdus

Entre 1963 et 1982, la D.D.A.S.S. (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) de la Réunion transféra 1 600 enfants en métropole. Ces enfants, abandonnés ou retirés à leurs parents furent arrachés à leur milieu pour être confiés, 9 000 km plus loin, à des familles de régions rurales du Massif Central (principalement en Creuse) ainsi qu'à des orphelinats et autres centres éducatifs. Longtemps, une chape de plomb recouvrit ce transfert. Il faut attendre les années 1990 pour que la presse s'intéresse aux "enfants noirs de la Creuse", sans creuser davantage l'enquête. En fait, l'opération bénéficie d'une forte médiatisation le 30 janvier 2002, lorsque Jean-Jacques Martial, un Réunionnais exilé en 1966, dépose plainte pour « enlèvement et séquestration de mineur, rafle et déportation ».Comment expliquer l'oubli qui recouvre cette sombre affaire? Sur l'île, seuls les communistes dénoncèrent cette entreprise. Quant aux familles réunionnaises auxquelles on retira des enfants, elles n'avaient pas les ressources nécessaires pour s'organiser collectivement et protester. Comme le rappelle Ivan Jablonka dans son remarquable ouvrage, dont nous vous parlons ci-dessous: "la migration réunionnaise s'est développée et achevée sans que personne n'y prenne garde". Ancien foyer où les Réunionnais étaient accueillis lors de leur arrivée à Gueret (reconverti en espace créole aujourd'hui).La plainte de Martial entraîna en tout cas d'autres témoignages et déchaîna les passions de médias très demandeurs. Certains n'hésitèrent d'ailleurs à à se lancer dans des comparaisons historiques douteuses avec la déportation des Juifs ou encore l'esclavage. On parlait désormais de "crime d'Etat".C'est tout le mérite d'Ivan Jablonka que de rouvrir ce dossier de manière sereine. Son ouvrage "enfants de l'exil" permet de mieux comprendre cet épisode.L'auteur adopte un ton sobre, distancié, en bon historien qu'il est. Pour autant, il dresse un constat général accablant. La lecture de son ouvrage n'a rien de rébarbative, dans la mesure où il se fonde dans un premier chapitre sur les témoignages des pupilles qu'il a pu retrouver dans divers fonds d'archives départementaux (notamment ceux de la Creuse, du Tarn et de la Réunion). Ses enfants souffrent du déracinement, de la solitude, du racisme. Certains sont affectés de troubles psychiques graves qui conduisent parfois jusqu'à la dépression, voire au suicide. Certes, il y eut aussi des cas réussis d'adoption, des réussites sociales, mais dans l'ensemble, l'entreprise fut un échec.La seconde partie, intitulée "la machine d'Etat", démonte les rouages des mécanismes administratifs qui firent fonctionner ce transfert humain. Au coeur du programme se situe un homme, Michel Debré, député de la Réunion à partir de 1963. Très préoccupé par l'accroissement démographique de l'île, il imagine ce projet qu'il n'a de cesse de défendre face aux sceptiques. Pétris de bon sentiment, les employées de la D.D.A.S.S. de la Réunion sillonnent les campagnes réunionnaises surpeuplées en quête d'enfants à "secourir".Les acteurs de cette vaste opération considéraient en effet faire oeuvre utile en envoyant vers la métropole, dans des régions rurales en voie de désertification, ces enfants, qui constituaient une charge pour leurs familles, souvent miséreuses et illettrés. Quelques promesses d'un avenir meilleur et d'une bonne éducation parvinrent parfois à convaincre les parents. Le recrutement s'avérait encore plus facile avec les enfants abandonnés ou orphelins. Or, ce système légal et destructeur perdura jusqu'en 1982 (pour des raisons budgétaires...), sans qu'il ne soulève véritablement de débats, comme nous l'avons vu plus haut. Jablonka analyse d'ailleurs dans son livre les démarches judiciaires entamées en 2002, mais reste circonspect face à cette judiciarisation et au risque du jugement de l’Histoire.En tout cas, avec son ouvrage Ivan Jablonka démontre de manière très convaincante que "la migration des pupilles réunionnais n'est donc pas un dérapage ; elle est une institution républicaine".Pap NDiaye dans sa critique du livre de Jablonka (voir source) conclut:" Par là, ce beau livre rappelle que ni la légalité d'Etat ni le sentiment de "bien agir" ne garantissent la justesse et la légitimité d'une politique. Et puis, le hasard fait qu'il tombe à point nommé, au moment où une association "humanitaire" a tenté d'organiser le transfert d'enfants tchadiens subtilisés à leurs familles. Même si, dans ce dernier cas, l'enlèvement des enfants ne relève pas d'une opération d'Etat, et si "comparaison n'est pas raison", le parallèle est troublant et renvoie à la place des anciennes colonies dans les imaginaires occidentaux : des lieux désespérants où il faut sauver l'humanité malgré elle. Vous avez dit néocolonialisme ?" Danyel Waro.Fils d'un planteur du Tampon, Danyel Waro découvre les chants réprimés de Firmin Viry, Granmoun Lélé, les inventeurs du maloya traditionnel, sorte de blues des champs longtemps interdit par le colon français. Meneur incontesté du renouveau du maloya, il fait le choix exclusif du créole dans ses chansons. Dans son troisième album,“Bébér” évoque sa rencontre avec l’un de ces “orphelins” réunionnais enlevés à la Réunion pour repeupler les campagnes désertées de la France.

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