mardi 14 avril 2009

In memoriam Sylvère Monod

In memoriam Sylvère Monod
par Alain Jumeau Université de Paris IV-Sorbonne
Né en 1921 dans une famille aux multiples talents, cultivant autant la distinction intellectuelle que le sens du service, Sylvère Monod s’est illustré à sa manière en atteignant l’excellence dans sa carrière d’angliciste. Reçu premier à l’agrégation, à l’âge de vingt et un ans, il enseigne d’abord dans le secondaire. Puis, en 1949, il rejoint l’université de Caen, où il sera nommé professeur à trente-deux ans, après avoir soutenu une thèse sur Dickens romancier qui fait toujours autorité, tant dans sa version française (Hachette, 1953) que dans sa version américaine (Dickens the Novelist, Oklahoma UP, 1968). Il a beaucoup contribué à la renaissance de l’université de Basse-Normandie détruite par la guerre, avant d’être nommé en 1964 professeur à la Sorbonne, où il est resté jusqu’à sa retraite en 1982 — à l’université de Paris III, après un bref passage, au moment de la partition, à l’Université de Paris VIII, dont il fut l’un des fondateurs. Il s’est consacré aux écrivains du xixe siècle, puis du xxe siècle, comme le montre son Histoire de la littérature anglaise de Victoria à Élisabeth II (1970). Il avait deux passions, pour deux écrivains très différents, mais tous deux d’une importance capitale dans l’héritage littéraire anglais : Dickens et Conrad.
Pour mieux les faire connaître et aimer des lecteurs francophones, il en a donné de magnifiques traductions dans la Bibliothèque de la Pléiade. Car, à côté de sa carrière universitaire aux responsabilités multiples, il a développé une carrière de traducteur littéraire, en rendant avec beaucoup de talent les romanciers du xixe siècle (Scott, les sœurs Brontë, George Eliot…), ainsi que des auteurs plus contemporains comme Peter Ackroyd, entre autres — un engagement qui lui a valu d’obtenir le Grand Prix national de la traduction et d’être, pendant des années, Président de la Société des Traducteurs Littéraires.
Études Anglaises lui doit beaucoup. Il lui a donné des articles de qualité et d’abord un nombre impressionnant de comptes rendus. Mais surtout, il en a été le rédacteur en chef de 1974 à 1980. À la suite du décès de son fondateur Louis Bonnerot, il a en effet repris cette revue qui était jusqu’alors portée à bout de bras par un homme presque seul, pour en faire une entreprise plus collégiale, telle que nous la connaissons maintenant. Voici ce qu’écrivait Paul-Gabriel Boucé, son successeur, dans un éditorial du printemps 1980 : « Dans la grande tradition de Louis Bonnerot, pendant ces six années Sylvère Monod a été the life and soul de la revue. Son dévouement inlassable, son sens aigu de l’organisation, la finesse et la sûreté de ses jugements critiques — non dénués parfois d’une saine et fulgurante malice — telles sont les caractéristiques d’un mandat qu’il a su remplir avec une compétence sans faille et toujours souriante »
Ce maître exemplaire par son savoir, sa capacité de travail, sa simplicité et sa disponibilité, a transmis à des générations d’anglicistes le meilleur de la tradition littéraire anglaise, sans oublier sa composante essentielle, l’humour, qui donnait une coloration si particulière à son enseignement et aux relations humaines chaleureuses qu’il savait nouer. Très éprouvé en 2003 par la perte de sa femme, Annie Digeon, qui était la lumière de sa vie, puis par sa propre maladie et la disparition récente de l’une de ses filles, il a donné, jusqu’à sa mort le 8 août 2006, l’image d’un homme lucide et courageux, mais d’abord aimable et généreux.

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