vendredi 6 février 2009

Place Claudine Lariveau

Photo Willy Ronis
Au crépuscule des années quarante, entre les Buttes-Chaumont et le Père Lachaise, Belleville c’était encore les ateliers, les bistrots et les salles de bal. Belleville c’était des venelles, des terrasses et des arrières cours. Dans ce village, riche d’histoire et de diversités culturelles, on y jouait aux boules et l’ont déjeunait dans l’ombre des jardinets. Les terrains vagues favorisaient la sieste et les rencontres amoureuses. Claudine est née sur ce petit morceau de Paname immortalisé par Robert Doisneau et Willy Ronis. Très vite attirée par le sirop de la rue, elle en aime les mille parfums, les entrées art déco du métropolitain, les trottoirs encombrés de badauds, les camelots et les marchands de quatre saisons. Elle en aime la gouaille de ses titis et les miaulements de l’accordéon sur les chansons populaires que fredonnent ses parents. Mais avant tout elle en aime le Peuple, ce peuple si cher à Michelet, chaleureux et fraternel mais aussi prompt à déchausser le pavé pour armer parfois sa révolte. Comme ses parents, Claudine croit en un avenir radieux qu’ils ont voulu construire, lui ouvrant la route à grands coups d’épaules le poing levé. On a dit d’eux que c’était des rouges. Et alors ? Le rouge à bien des nuances depuis celui qui habite nos veines et traduit des émotions telles que la timidité, la honte et la colère. Rouge aussi les coquelicots que Claudine cueillera en bouquet sur les sentiers de l’Ile de Ré où une histoire d’amour lui a donné le jour. Rouge, l’une des trois couleurs du drapeau qui flotte sur le fronton de son école au dessus des mots Liberté, Egalité, Fraternité. Ses universités ? Ce seront celles de la République, celle de Voltaire et d’Hugo. Et à seize ans elle abandonnera les ruelles de Belleville et ses chemins de traverses pour entrer à La Nationale gagner le pain quotidien. Les compagnies la Nationale, l’Abeille et le Soleil, ça t’a un petit un air de Nationale 7 si chère à notre fou chantant. A l’époque la circulation n’était pas trop dense. La Nationale n’avait que deux voies, des bornes kilométriques rouge et blanche et entre les platanes on pouvait y garer la 4CV, sortir du coffre un panier en osier, installer sur l’herbe une nappe blanche et avec les camarades faire l’apprentissage de la liberté, prodiguer à tous cette égalité et cette fraternité qu’elle ne reniera jamais. La Nationale a bien changé depuis. Qu’importe le nom la route reste le même. Il y a belle lurette que les platanes ont été rasés. Les coquelicots aussi. Le béton a envahit les terrains vagues, l’herbe verte a été remplacé par des immeubles, des sociétés, des multinationales, des Groupes, des GIE… De deux on est passé à quatre voies armées de barrières de sécurité... La Nationale est devenue une autoroute où il est interdit de s’arrêter sur le bas côté, sinon emprunter la bande d’arrêt d’urgence à hauteur d’une borne téléphonique et appeler le centre d'intervention informatique dénommé CATI. Une fois dépanné on doit reprendre illico sa place dans le trafic pour y tenir sa moyenne sans débordement. Contre les pannes de l’âme et les injustices de la vie CATI ne peut rien. Alors notre Claudine les mains pleines de graisse et de cambouis se bat pour le droit au bonheur pour tous. En ces temps égoïstes, nombreux restent aveugles et sourds face à l’injustice. Dotée d’un cœur bien trop grand pour elle, Claudine prône les belles valeurs qu’elle tient de ses parents. Elle s’accroche à cet héritage qui vaut bien mieux pour elle que tous les Stocks Options du CAC 40. De récompense elle n’a jamais voulu. Pourtant nous, ses Enfants de Paradis, lui devons beaucoup, elle qui depuis 42 ans drape une saine colère d’un beau rouge garance pour faire notre route fleurie. Semée d’embuches, sans trêve ni repos, la sienne aura été longue. Alors maintenant qu’elle guette la prochaine sortie en direction de Moulins, elle se remémore le nombre de fois où elle a emprunté cette sortie en ce disant qu’un jour ce serait la dernière. L’instant est arrivé. Vendredi soir elle partira sur un vibrant roulement de la porte à tambour tel un hommage. Et quand des nouveaux demanderont « Le Comité d'Entreprise, s’il vous plait, c’est où ? » tout un chacun de répondre : « Vous ne pouvez pas vous tromper. Au bout de l’allée Nicole Verguet sur la place Claudine Lariveau. » Place Claudine Lariveau, quel beau nom pour une place ? Cette belle et grande place que Claudine laisse à tous au plus profond de nos cœurs.

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