jeudi 22 janvier 2009

Clystère et boule de gomme.



Je suis habité perpétuellement par le doute et l’angoisse. Cette angoisse associée aux autres n’est pas pour arranger mon système digestif bien mal en point. Car L’appareil digestif, du pharynx à l’anus, n’est qu’un long muscle en mouvement perpétuel. Et moi, ce mouvement perpétuel à l'intérieur de moi-même me perturbe.
Je suis donc allé recensé l’ensemble de mes troubles à un gastro-entérologue des plus attentifs. Installé sur sa table de consultation, il m'a ensuite ausculté l'abdomen, son regard translucide et clinicien, axé sur un point fixe. Sa forte respiration, accompagnée de marmonnements, inquiéta fort l’égrotant qu’il malaxait avec bienveillance. Il s’arracha à l'étreinte qui nous unissait et me demanda de relever mes genoux vers le menton. Son regard rivé au mien, comme celui d’un torero lors d’une mise à mort. Ce regard inquiétant, inquisiteur, fouillait mes pensées de façon impudique, s’insinuait en moi de même que son index en mon fondement. j'ai suffoqué. Il va sans dire qu'avec un toucher rectal de cette qualité, les yeux dans les yeux, il devait posséder un sacré chapelet de prostates à son actif.
Juste pour me rassurer, il m’a conseillé de procéder à une endoscopie, bien entendu sous anesthésie générale, de l’œsophage, de l’estomac, du rectum et du sigmoïde. Heureux d’apprendre que cette portion illo-pelvienne du colon en amont du rectum s’appelait ainsi, je me pliai à son jugement, songeant toutefois que toutes ces caméras en direct dans mon organisme, allaient me stresser comme un invité surprise à Taratata. Elles partiraient à l’assaut de l’inconnu en ce gouffre anatomique et établiraient leur jonction à Promontoire point, comme le firent l’Union Pacifique et la Central Pacifique le 10 mai 1869. Un microscopique gastro-entérologue équipé d’une lampe frontale, effectuerait lui-même les sondages, se mettrait en orbite autour de ma prostate, deviendrait mon petit satellite. Peut-être y découvrirait-on des gravures rupestres. Peut-être finirais-je classé au muséum d’histoire naturelle.
 La préparation à l’examen endoscopique nécessite d'ingurgiter deux litres d’une solution absolument imbuvable. Le lavage colique fut précédé de ballonnements surprenants. J’avais presque doublé de volume et souffrais d'épouvantables nausées de femme enceinte. Et vint la colique. Irrépressible. Frénétique. 
A la clinique, entouré de toute l'équipe du docteur, l'anesthésiste et deux assistants tout sourire, le gastro-entérologue est arrivé, cordial et rassurant. Il a levé l’index et je me suis endormi, pour me réveiller sur un chariot, recouvert d’un drap. En levant la tête, je voyais mes pieds blancs et nus qui dépassaient. Je me situais à l’angle d’une pièce, dont j’étais séparé par un paravent de toile écrue. J’ai fermé les yeux de douleur. J’avais les viscères crispés et une pantagruélique envie de péter. L’exploration des sondes avait été facilitée par insufflation d’air dans le bide. Ma femme allait être obligée de me ramener en me tenant au bout d’une ficelle. J’ai tenté une élimination assourdie de l'hélium de mon petit zeppelin incorporé. Le résultat fut peu probant. Quelqu’un toussa. Toussa et péta. Péta et toussa. Je n’en suis pas sûr. Ce qui l'était, c’est que je n'étais pas seul.
- « Vous voila réveillé, monsieur Untel. Vous allez bien...? Non, non! Ne vous levez pas tout de suite. Attendez encore un peu. Reposez-vous quelques minutes. Quand vous sentirez un peu mieux, vous pourrez vous habiller et partir. Quelqu’un va venir vous chercher, j'espère ? Votre feuille de maladie est à l’accueil. »
L'infirmière était partie. J’avais soif et la bouche pâteuse. Il n’y avait pas d’eau et je cherchai en vain une sonnette pour prévenir de mon réveil. Au terme de quelques minutes, monsieur Untel s’est habillé. J’ai discerné son ombre à travers le paravent. Je grattai la toile mais il ne m’entendit pas ou ne fit pas attention à moi. Je ne pouvais pas parler sans craindre une éruption. Ma respiration semblait alimenter mon aérostat. Je me suis cramponné sur les bords du chariot. Dans moins d’une minute j’allais flotter dans cette salle de repos, recouvert de mon drap, comme un personnage d’une toile de Magritte. Traverser la clinique et m'échapper par la première fenêtre ouverte. Je n'étais pas certain de pouvoir diriger l’engin, de naviguer à la seule propulsion de cet insolite carburant. L’horreur serait que je me vide d’un coup. Un exercice de haute voltige parfaitement incontrôlable. Mon corps qui tourbillonne dans les airs, fait des loopings, des vrilles, des piqués pour, à bout de course, s'écraser contre un mur à trois cents à l’heure. J'étais épouvanté de finir comme Aerton Sena.
Je n'étais pas le seul à avoir certaines dispositions pour les émanations orales du bas ventre. L’orage grondait. Les claquettes de l'infirmière résonnèrent sur le linoléum et on pria monsieur Machin de se préparer.
Mais, putain, combien étions-nous en cette salle de réveil, à respirer nos pestilences, à mettre en péril l’équilibre climatique ? Une véritable escadrille dont un membre, nouvellement promu, atterrit sur son petit chariot à côté de moi. J’ai attrapé l'infirmière au vol. Avant qu’elle ne déclame quoi que ce soit, je lui ai intimé l’ordre de se taire, en lui décochant un sourire assassin modèle 1952 modifié 2009, répertorié dans mon manuel de pilotage. Certain de ne plus être dénoncé par mon ange gardien, je me suis résolument laisser aller.

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