mercredi 17 septembre 2008

Devoirs de vacances (3) : Bleak House

Bleak House
L’art d’écrire (des romans) est un art très futile s’il n’implique de voir le monde comme un potentiel de fiction. Hasards et coïncidences s’imbriquent dans la création d’un monde nouveau. C’est pour cela qu’il faut voir les grands romans comme de merveilleux contes de fées. Si les grands romans sont de grands contes de fées, Dickens, quant à lui, est un enchanteur. Assurément, pour un lecteur d’aujourd’hui, les romans de Dickens restent des œuvres marquées par leur époque. Ses créations cherchent à défendre et illustrer des valeurs, qui sont celles du cœur plus encore que celles de l’intelligence. Alors pourquoi refuserions-nous d’être touchés par la tendresse la générosité la délicatesse qui en émane ? N’oublions pas que Dickens écrivait en premier lieu pour ses contemporains, c’est à dire un public qui en avait le goût. Bleak House est l’un des trois derniers grands romans de Dickens. Huit de ses romans furent écrits et publiés au rythme de livraisons mensuelles qui s’étalaient sur dix neuf mois Bleak House paraîtra de mars 1852 à septembre 1853.
John Jarndyce et ses pupilles
Tant est considérable le foisonnement des idées, le nombre des thèmes abordés et riche la qualité narrative de Dickens, qu’il serait malaisé de résumer l’histoire sans s’étendre sur plusieurs dizaines de pages. Disons qu’elle se compose de deux intrigues distinctes, l’une dans la plus pure tradition de l’auteur qui met en scène un homme généreux et excentrique, John Jarndyce, entouré de ses pupilles. Ils vont d’une ville à l’autre rencontrent sans cesse de nouveaux personnages excentriques et loufoques tells que les dames philanthropiques Jellyby et Pardriggle, le professeur de maintien Mr. Turveydrop ou encore le fantaisiste Harold Skimpole. A côté de cette intrigue une seconde, sombre et serrée, policière et criminelle, dont on ressent la très nette influence de son ami Wilkie Collins. Mais avant tout Bleak House est un fantastique roman noir. Noir comme « la fumée (qui) tombe des tuyaux de cheminée, bruine molle et noire, traversée de petites pelotes de suie » sur un Londres froid et venteux de novembre. Brouillard partout où se dessinent confusément quelques becs de gaz. « L’âpreté de l’air, la densité du brouillard, la boue des rues atteignent leur point culminant aux alentours (…) de Lincoln’ Inn Hall où, au cœur même du brouillard siège (…) la Haute Cour de Chancellerie. Par ces bribes d’extraits de la fantastique description de Londres sous le brouillard qui ouvre le roman, le ton est donné à cette puissante satire de la coûteuse et ruineuse Haute Cour de Chancellerie, aussi brumeuse, noire et assassine que le brouillard qui l’environne. Au cœur même du roman, parmi la multitude de dossiers et d’affaires interminables, la Chancellerie s’occupe du cas de l'héritage Jarndyce contre Jarndyce. L'héritage finira par être complètement absorbé par les frais de succession. Mais au-delà de cette sombre histoire juridique qui conduira à la ruine et à la mort plus d’un individu. Le livre est plein de scènes cruelles et barbares. Neuf personnages de premier plan meurent de façons diverses : l’un sera assassiné, les autres succombent à la phtisie, à la douleur, au remords, à la folie ou à la paralysie; l'un d'eux, Krook, finira de façon « extraordinaire » et partira en fumée comme des particules de suie grasses qui inondent la ville.

L'école de danse

Les thèmes abordéssont nombreux. Les pages les plus touchantes sont consacrées aux enfants. Les enfants livrés à eux-mêmes de la philanthrope Mrs Jellyby, les industrieux petits orphelins Neckett, les « sales petites mollassonnes en robe de tulle » qui prennent des leçons de danse, la famille de briquetier où nous découvrons un enfant mort etc… Mais parmi ces enfants plutôt morts que vifs, parmi ces enfants de la peine se dégage la figure de Jo. Crotté, enroué, loqueteux, sans père, ni mère, sans amis, sans foyer. Dans le brouillard « à la nuit, une traînante silhouette parcourt l’allée-tunnel jusqu’à l’extérieur de la grille de fer. Elle s’accroche à la grille des deux mains et regarde à travers les barreaux (…) puis avec un vieux balai qu’elle traîne avec elle, elle balai doucement la marche et nettoie l’allée voûtée». Ce "porte-parole" de l'enfance malheureuse aura une fin dramatique quand « la lumière est arrivée sur le sombre chemin des ténèbres. » « Mort, Votre Majesté. Mort, Messeigneurs et Messieurs. Mort, Révérends, justes et injustes, de toutes confessions. Mort, hommes et femmes qui portez dans vos cœurs, innée, la compassion céleste. Et il en meurt ainsi, de la même manière chaque jour. » conclue Dickens. Terrible constat.

Impasse de Tom-Tout-Seul

Si le traducteur Sylvère Monod considère comme un aveu d’impuissance d’avoir conservé le titre original lors de la première traduction en 1884 et lui préfère quant à lui celui de « La Maison d’âpre-vent », je reste attaché à celui de « Bleak House » qui comme l’ensemble des choses inanimées dégagent une atmosphère qui finit par vous obséder : les vieilles maisons décrépites sont à jamais marquées par les souvenirs des anciens crimes; les ruelles sales et les impasses repoussantes sont fréquentées par des bandits ou sont le théâtre de morts violentes, et les portes et les fenêtres, les cheminées ou les statues finissent par prendre un aspect sinistre. « Il n’est pas certain que Bleak House sera le meilleur livre de Dickens, mais peut-être est-ce son meilleur roman. » écrivait Chesterton. Il est donc à regretter que celui-ci ne soit disponible que dans la prestigieuse collection de la Pléiade chez Gallimard, absente hélas des illustrations originales.

Charles Dickens : La Maison d'Âpre-Vent & Récits pour Noël. La Pléiade, Gallimard. 1700 pages.

Aucun commentaire: