lundi 8 septembre 2008

Devoirs de vacances (1) : La bite à Dickens

Les vacances, pour moi, restent synonymes de grands moments de quiétude et de paresse. Prendre du temps au temps pour lire, dormir, flemmarder. Vivre à ne rien faire. Beaucoup ne comprennent pas cette philosophie de vie. Peu m’importe. C’est ainsi que je ressens les choses. Et c’est la seule façon que j’ai de pouvoir lire. Je dis lire. Non pas consulter à la sauvette un vague texte pour n’en retenir qu’une simple histoire. Autant lire la rubrique des faits divers. « Nombre d’auteurs reconnus sont tout bonnement inexistants à mes yeux. Leurs noms sont gravés comme des tombes vides, leurs livres ne sont que des couvertures vides…. » Je pense comme Vladimir Nabokov qui attendait de ses lectures le petit frémissement de la moelle épinière. Alors le sac plein de livres, je pars dans une maison gorgée de livres pour enfin connaître ce petit frémissement de la moelle épinière si chèr à Nabokov. « Introduction à la connaissance des choses secrètes, cachées, difficiles. » dit le dictionnaire C’est en ce sens que le roman de John Irving, « Je te retrouverai », est initiatique comme le sont tous les grands romans de formation ou d’apprentissage. Il y a du Dickens chez John Irving par la puissance créatrice et narrative, le comique de situation, l’évocation du monde de l’enfance et le douloureux passage dans celui des adultes, le foisonnement de personnages qui s’entremêlent et la magie des lieux comme par exemple, simplement évoquée, « une maison victorienne aux rideaux tirés en permanence avec un escalier qui menait au sous-sol » où l’on s’attend en vain à apprendre qu’elle est habitée par la Miss Avisham des Grandes Espérances. Mais s’il y a du Dickens chez John Irving, c’est un Dickens enfin débarrassé des contraintes littéraires et de la pudibonderie victorienne. « Selon sa mère… » ouvre le roman de John Irving, car du plus loin qu’il se souvienne Jack Burn a comme mémoire la parole d’Alice Stronach, sa mère, « Fille de Persévérance », seule personne digne de confiance, dont les doigts de Jack trouvent la main même dans le noir. De racines, il n’a point, lui dont le père originaire d’Edimbourg, fut organiste à l’église de South Leith, quartier d’un petit port ouvrier dans lequel le cimetière épiscopalien interdit aux pauvres les pierres tombales. « Seules les cendres répandues à travers les grilles voltigeaient dans le noir au point de donner des cauchemars à Jack. » Sombre destinée. Si Pip, l’orphelin des Grandes Espérances de Charles Dickens, est « élevé à la main» par sa sœur, Jack à la suite de sa mère, emprunte le chemin des écoliers « à la force du poignet » pour retrouver son fugueur de père dans les villes du nord de la Baltique. De Toronto à Amsterdam, en passant par Halifax, Copenhague, Stockholm, Oslo et Helsinki, long semblera le voyage pour ce petit garçon de quatre ans, trimballé de port en port, à dormir parmi les aiguilles, aux côtés de sa mère, grande spécialiste des « albums photos du corps » dont la Rose de Jéricho, cette splendide fleur qui cache dans ses pétales, pour qui sait regarder, une toute autre fleur bien troublante. Lors du périple de ce curieux couple, l’esprit de l’enfant sera marqué de rencontres providentielles comme celles de trois tatoueurs, deux organistes, un petit soldat et un comptable tatoué. A Amsterdam, se sera l’étrange fréquentation de ces dames en vitrines donneuses des conseils aux hommes qui ont du mal à comprendre les femmes. Ces hommes à l’air ennuyés d’être surpris et pressés de partir après avoir reçu de bons conseils. Sa mère finira elle aussi en vitrine à chanter des cantiques ou prodiguer des conseils à de jeunes garçons, avant qu’il ne retourne en Amérique avec elle, toujours hanté par l’ombre du père. De retour à Toronto, sa mère et lui logeront chez « une ancienne aux poches pleines », dévouée corps et âme à l’école Sainte-Hilda la veuve Wicksteed. C’est elle qui prendra en charge son éducation. Après la mer du Nord et la Baltique Jack n’en aura pas fini des tempêtes, il devra affronter un océan de filles en entrant au jardin d’enfant de Sainte-Hilda, univers étrange et fascinant pour le garçon de cinq ans avec ses portes cintrées du couloir, les triangles gris et noir du linoléum, la vue miniature de la cour de récréation depuis une vitre cassée des toilettes du deuxième étage et les dortoirs des pensionnaires filles. Il y fera une rencontre déterminante en la personne d’Emma Oastler, fille de douze ans, dont il deviendra la « puce » et auprès de laquelle il tremblera d’émotion contenu comme Pip devant Estella. Mais si Pip est « élevé à la main », Jack le sera également mais avec son sexe dans la main d’Emma où il finira par grandir. Ah comme Pip aurait aimé être conduit par le sexe par Estella auprès de Miss Havisham. Miss Havisham, d’ailleurs, ne plane t’elle pas au-dessus de Mrs McQuat, l’éternelle demoiselle aux cheveux gris acier coiffés en chignon surnommée le Fantôme gris ? Si Miss Sinclair, Miss Wong, Mr Malcolm, Mrs McQuat accompagneront l’éducation de Jack, c’est assurément Miss Wurtz qui « fut la maîtresse qui lui laissa le souvenir le plus ému, et pas seulement à cause de sa beauté délicate.» C’est à elle qu’il devra sa carrière de comédien et aussi ses plus beaux fantasmes. Avant d’affronter le collège, Jack fera en dépit des «caprices de son sexe, qui passait en un clin d’œil de l’émoi à l’indifférence… » ses armes de lutteur avec entre autre Mrs Machado experte dans l’art du corps à corps avec « mossieu zizi.» Pour un garçon « élevé à la main » dans un océan de filles, le monde des garçons ne lui fera pas peur. Il y deviendra même un lutteur émérite, réputation qui le suivra jusqu’à l’Université du New Hampshire où il y ajoutera celle de séducteur et de comédien dans un monde de l’apparence et du travestissement. En dépit du succès et des ses récompenses, Jack apprendra que la vie est loin d’être une comédie. Il y perdra, Mrs McQuat, Michèle Maher, Claudia, Emma, sa mère et bien de ses Grandes Espérances à la recherche d’une vérité où tout n’est que supercherie et où tout a été menti. « Jack ne se sentait plus du tout acteur. (il) était un garçon qui n’avait jamais connu son père, un garçon qui en avait été privé ; (et) peut-être que ce dont il avait peur, en réalité, c’était de ne plus pouvoir alléguer cette excuse dans l’existence. » Réflexion sur la mémoire, le mensonge, l’identité, « Je te retrouverai » raconte ces enfances rêvées, imaginées, qui s’écroulent un jour, attaquées par la réalité qui resurgit tardivement. Toutefois, comme chez son maître, Dickens, la densité de l’écriture s’alourdit de détails inutiles qui ralentissent le récit. Le roman perd de son souffle et la lecture devient poussive. Reste qu’un roman de Irving surpasse allègrement nombre de ses concurrents, mais assurément, ‘Je te retrouverai’ pâtit de sa trop grande richesse. « Quand vais-je en voir le bout ? » demandera Jack après lui avoir raconté sa vie durant presque cinq ans à sa thérapeute. Nous aussi. Mais peut-être ai-je une bonne excuse, celle de ne pas un être un bon lecteur.
John Irving « Je te retrouverai » point Seuil.

Aucun commentaire: